Le samedi 14 février 1739, Anne Rochebilière, veuve de Jacques Antoine Ladreyt, tanneur de Lamastre, dont le fils passait pour un espion, après avoir blanchi du linge pour Louise Peyron, âgée de quarante-quatre ans et fille d'un ménager de Lamastre, avertit le sieur Dumas, curé de Macheville, paroisse très rapprochée de ce dernier lieu qu'un ministre (c'était Mathieu Morel dit Duvernet) devait être logé chez cette veuve.
Sans tarder, Dumas en informa par lettre un gentilhomme de Lamastre, nommé Jean de Reboulet, Seigneur D'Urbilhac, qui commandait une compagnie de paysans. La lettre était anonyme, mais Durbilhac reconnut l'écriture du curé et courut chez lui. Après un court entretien, Dumas fit armer son frère, qui était apothicaire, tandis que Durbilhac requérait l'assistance du nommé Saignard et donnait l'ordre à Chalavons, voisin de la Peyron, de faire bonne garde autour de la maison de cette dernière, pendant que lui-même irait demander au père Ponsonnet, syndic du collège du Puy, qui se trouvait pour lors au prieuré des jésuites de Macheville, d'envoyer quatre hommes sur les lieux.
Une heure après, Chalavons fit dire à la cure qu'il venait d'apercevoir le ministre une serviette au col et un plat à barbe à la main, jetant de l'eau par la porte. Durbilhac prend aussitôt avec lui le notaire Courbis, procureur juridictionnel de Lamastre, le sieur de Girons, châtelain du même lieu, et trois autres, et va frapper à la porte de la veuve Peyron, qui lui ouvre. Comme, au même instant, on crie du jardin que le ministre soulève le couvert pour s'échapper, Courbis s'élance dans le galetas, trouve le ministre sur un tas de fagots et courbé sur le toit pour faire sauter les planches, le saisit et l'amène à Durbilhac, en disant : "Voilà l'homme."
On lui fit alors mille insultes. "On lui crachait au visage,», dit le mémoire de Mlle Chatelan , "on lui tournait sa perruque," et Durbilhac s'empara de ses papiers, de sa montre et de son argent. La Peyron fut aussi arrêtée avec Mathieu Morel, neveu et élève de Duvernet, et âgé seulement de quinze ans. Puis, quand on eut garotté les trois prisonniers et pillé la maison de la Peyron, qui était riche, on les enferma dans le prieuré des jésuites. Quant au fils et à la fille de M. Chazal, de Lamastre, qui étaient aussi avec Duvernet, ils furent assez heureux pour s'échapper, ainsi que l'apothicaire Antoine Cluzel, dit La Blache, qui était venu raser ce dernier.
Duvernet fut admirable de résignation et de douceur. "On m'a arrêté, disait-il, on a arrêté aussi Durand, on en arrêtera bien d'autres, parce qu'il ne manque pas de ministres." Puis le curé Dumas lui ayant demandé d'un air de mépris s'il savait quelque chose, le pasteur lui répondit : "Vous devez bien juger que je n’occuperais pas la place que je tiens sans savoir, puisque je suis ministre par la grâce de Dieu, que J’ai reçu l'imposition des mains et n'ai été envoyé en Vivarais que pour les fonctions de pasteur." Le curé ayant répliqué que les assemblées ne tendaient qu'à la révolte, Duvernet se borna à sourire. De l'argent fut offert aux sentinelles qui gardaient le prisonnier pour le laisser se sauver, mais on ne put les séduire ; et, le lendemain, Duvernet, son neveu et la Peyron partirent pour Tournon, montés sur des chevaux et conduits par D’Urbilhac, escorté de trente à quarante paysans. Une foule considérable de religionnaires se portèrent sur la route pour le voir et le saluer une dernière fois ; des sources catholiques disent que c'était pour l'enlever dans les vallons qui avoisinent Lamastre, mais cela paraît peu vraisemblable.
Arrivés à Colombier-le-Jeune, autrement dit aux Croix, à deux lieues environ de Tournon, la troupe voulut se rafraîchir et entra dans un cabaret, à l'exception de trois hommes, restés dehors pour garder Duvernet, qui n'avait pas voulu se joindre aux buveurs. Pendant que la troupe ne songeait qu'à se désaltérer, le sergent ou huissier Pierre Ducros, au bras duquel on avait attaché le ministre pour plus de sûreté, ému de compassion envers lui, lui prête un couteau pour couper sa corde, et il s'échappe ; mais les deux autres hommes de garde crient sur le champ : au secours ! D’Urbilhac sort avec ses paysans, commande le feu, fait feu lui-même et le malheureux Duvernet tombe frappé de trois balles une à la tête et, l'autre à l'épaule et la troisième aux reins. Quand on l'eut relevé de terre, sa première parole fut pour pardonner à ses meurtriers, puis il fit sa prière. On le mit ensuite sur un cheval pour qu'il pût continuer sa route, mais il ne vécut pas plus d'une demi-heure.
Transporté à Tournon, on jeta son cadavre dans une basse fosse en compagnie de la Peyron et d'un petit chien qui appartenait à cette dernière. Quant à Morel neveu, il fut enfermé dans un autre cachot. Le lendemain, on enterra le corps du martyr au pied d'une croix au bord du Rhône et on lui donna pour chevet le petit chien, qu'on eut la cruauté de jeter tout vivant dans la fosse. Les misérables, qui vaquaient à cette lugubre cérémonie, disaient par manière de plaisanterie que le ministre aurait de quoi manger et boire et qu'on enterrait deux bêtes à la fois. Quant à Ducros, il fut arrêté.Si les deux compagnons de Duvernet n'avaient pas dit que le défunt était ministre, ses meurtriers ne l'auraient jamais su. On crut même dans le public que c'était le prédicateur La Vertu. "La Peyron et le petit Morel, dit Mlle Chatelan, furent interrogés par Robert Dumolard, subdélégué de l'intendant, et, afin de faire parler ce jeune homme, Dumolard le fit pendre par les cheveux à un plancher et deux soldats avaient ordre de le faire pirouetter de temps en temps. On lui fit souffrir des tourments horribles. Sa tête en fut toute écorchée. Dans les tourments il dit tout ce qu'on voulut, mais il se rétracta après. La Peyron fut fort maltraitée aussi, mais en paroles. Elle ne convint pas d'avoir logé M. Duvernet en qualité de ministre, mais seulement comme étranger et comme passant.
L'intendant de Bernage fit traduire les prisonniers à Montpellier et les jugea le 8 février 1740. Le jeune Morel fut condamné aux galères perpétuelles (on le libéra vingt et un ans plus tard, en février 1761, avec défense de s'établir dans le Languedoc), et la Peyron à être rasée et enfermée sa vie durant à la tour de Constance. La mémoire de Duvernet fut déclarée "éteinte, supprimée et condamnée à perpétuité" ; ses livres et papiers furent livrés au feu, et les biens de tous confisqués, à l'exception d'un tiers réservé aux enfants. La veuve Chazal, convaincue d'avoir favorisé la retraite et le séjour de Duvernet et assisté à ses assemblées à Lamastre, dut payer cent livres d'amende et subir l'admonestation. De nouvelles informations furent décrétées à l'égard de Louis Chazal, son fils, Marie Chazal, sa fille, Antoine Cluzel dit La Blache, chirurgien, Broë, notaire, et Pierre Dunière fils. Les trois premiers étaient contumaces. Les deux autres ne sortirent de la citadelle de Montpellier que le 8 février 1745. Dubesset, Callon, Morel dit de Châteauneuf, autres contumaces, furent décrétés d'arrestation et leurs biens confisqués au cas où ils ne se rendraient pas en prison. Enfin une amende de 3000 livres, applicable aux dénonciateurs et aux frais des arrestations fut imposée sur les protestants de Désaignes Lamastre, Macheville, Retourtour, Saint-Bazile, La Bâtie et Saint-Jeune d'Andaure, constituant l'arrondissement de Désaignes.
Quant au sergent Ducros, Paul Peyrou, valet de la veuve Chazal, Paul Dunière père, Marguerite Dunière, sa fille, Jean Morel, de Meyfresches, frère du pasteur, ils furent relaxés, et mis hors de cour et de procès. Duvernet était le cousin de Pierre Peyrot, qui étudiait la théologie pour lors à Lausanne et qui devint un des pasteurs les plus distingués du Vivarais.